Suaire de Turin: des tests qui n'endommagent pas le linceul

(Version française de l'article paru dans Soudarion de décembre 1994)

Bref aperçu historique

Voici quelques années, le monde a manifesté de l'intérêt pour la relique de Turin, qui malgré le verdict du C14 en 1988, est considérée comme la plus tenace face aux explications scientifiques: ne serait-elle pas le vrai linceul dans lequel Jésus a été enterré?

Sur le linceul apparaît un léger roussissement qui prend la forme recto verso d'un corps humain crucifié. Le siècle passé, en 1898, le négatif photographique en donnait une vision beaucoup plus claire et détaillée. Dans les années 1970 et 1980, le résultat des analyses scientifiques a surpris par ses conclusions en faveur de l'authenticité. Restait finalement le test considéré par beaucoup comme décisif: la datation au carbone 14 (C14). Des expériences ont été réalisées en 1987-1988 par trois laboratoires (Tucson, Arizona (USA), Oxford (Grande-Bretagne) et Zurich (Suisse)). Elles ont conclu à un âge de 600 à 750 ans, avec un intervalle de confiance très discutable scientifiquement, parce qu'il semble avoir été élargi délibérément pour "harmoniser" les résultats.

L'hypothèse du rajeunissement du linceul

Plus récemment, messieurs les profs. E. Lindner et J.B. Rinaudo ont expliqué l'apparition de l'image du Suaire par transmutations ou bombardements nucléaires. Le linceul aurait été soumis à une radiation d'origine inconnue et aurait subit des transmutations atomiques, avec en particulier une augmentation sensible de la concentration de C14: le linceul s'en trouverait "rajeunit" et la datation au C14 faussée.

Le rajeunissement pourrait aussi venir d'autres facteurs: selon les profs. Kouznetzov et Ivanov par exemple, il peut être dû à une diffusion gazeuse à une époque récente, dans une atmosphère chaude et riche en gaz carbonnés, comme lors de l'incendie à Chambéry (1532). Cependant, l'explication de Kouznetzov ne semble pas donner entièrement raison de l'enrichissement constaté.

Deux expériences surprenantes

J.B. Rinaudo a réalisé récemment au réacteur de Saclay (CEA) et a testé au laboratoire ISOTRACE de Toronto deux expériences surprenantes, dans lesquelles il montre qu'une irradiation d'un tissu de lin par un flux de neutron donne deux résultats essentiellement similaires à l'image du linceul de Turin:

  1. rajeunissement apparent du tissus si on le date par C14.
  2. brunissement superficiel identique.

Si l'explication correcte est de ce type, une hypothèse nouvelle apparaît: on pourrait observer une image "peinte" radioactivement lors de l'irradiation. Ainsi, sous les apparences de l'image "chimique" de l'homme du linceul (le brunissement visible) se cacherait une image radioactive invisible. Dans ce cas, l'image radioactive serait nettement moins altérée que l'image chimique laissée par l'oxydation du linceul (cellulose). L'enrichissement radioactif devrait être plus détectable dans les zones fortement irradiées, qui correspondraient aux zones plus brunies.

De nouvelles expériences possibles

Une première expérience possible revient à dater plusieurs échantillons choisis en des endroits très différents du linceul: une ou des partie(s) de l'image du corps, des endroits éloignés de celle-ci. Les datations devraient différer de plusieurs centaines, voire milliers, d'années entre échantillons pour confirmer l'hypothèse avancée (image radioactive). L'inconvénient de cette méthode est bien entendu la destruction d'une partie du linceul, qui serait d'autant plus navrante que l'expérience s'avère concluante…

Pour cette raison, il convient d'envisager une autre méthode. Cette seconde expérience, non destructive, consisterait à scanner le linceul en partie ou même totalement, dans certaines bandes d'énergie radioactive et obtenir une véritable carte de l'image radioactive. Il faudra probablement utiliser diverses méthodes pour réduire l'influence de radiations parasites. Cette mesure est très similaire au fonctionnement de certains scanners médicaux pour la vision de tumeurs (par exemple dans la glande tiroïde après marquage à l'iode radioactif).

Comment vérifier l'hypothèse du rajeunissement?

Il est préférable de se tourner vers des mesures non destructives, et de voir dans quelles conditions on peut réaliser des expériences vraiment scientifiques et irréprochables quant aux méthodes utilisées, sans omettre d'autres hypothèses, comme cela a été malheureusement le cas jusqu'ici. L'histoire du linceul revendique une origine non naturelle, contrairement aux tissus de momies: on ne peut pas scientifiquement utiliser des hypothèses aussi réduites.

Les expériences proposées offrent trois résultats possibles quant à l'intensité radioactive, qui peut être:

  1. homogène et constante: dans ce cas, le suaire est probablement faux, et peut être authentique s'il y a eu rajeunissement ou si l'âge estimé était de 2000 ans, malgré les mesures précédentes;
  2. variable, mais non corrélée à l'image visible: dans ce cas, le suaire est probablement authentique et il y a eu rajeunissement;
  3. corrélée à l'image visible: le suaire est alors presque certainement authentique; il y a eu rajeunissement et brûlure simultanément.

On peut se limiter à quelques mesures ponctuelles à titre préliminaire, mais le mieux serait de scanner toute la surface de l'image du visage ou même du corps. Cela peut ralentir notablement la mesure. Pourquoi ne pas envisager d'utiliser des scanners scintigraphiques?

Dans les deux premiers cas, on peut admettre un enrichissement en C14 par effet Kouznetzov (en observant par exemple des zones de radioactivité différente entre les plis du suaire). Dans les deux derniers cas, une question restera cependant: peut-on encore espérer dater le linceul par des mesures radioactives? En effet, l'enrichissement brouillerait les données et rendrait la datation pratiquement impossible. Une piste peut néanmoins être parcourue pour le troisième cas: l'étude de la composition isotopique du tissu devrait donner une estimation statistique de l'âge du linceul. Si le linceul a été mystérieusement irradié dans le passé, les isotopes à durée de vie courte auront tous pratiquement disparus alors que les isotopes de longue durée resteraient pratiquement inchangés. Une analyse statistique doublée d'expériences d'irradiation de tissu de lin devraient alors permettre une évaluation de l'âge du linceul. Il peut être intéressant encore d'analyser la composition isotopique de la pierre tombale présumée (à Jérusalem Ouest), si l'irradiation est estimée suffisamment puissante.

 

Abbé Ph. Dalleur
Novembre 1994

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